[...]
Ca parle en elles. Tout le temps. Ca les harcèle. C'est un grondement continu; quelquefois, quand l'angoisse diminiue, cela devient murmure, chuchotis; cela peut aussi devenir vacarme, sensation d'éboulement, fragmentation de l'être, désordre vénéreux, la perdition est proche mais jamais elles n'allumeront les signaux de détresse.
[...]
Elles, ce sont celles qui écrivent.
[...]
Qui es-tu?
Quelle question idiote! comme si elle ne savait pas qu'elle était Sophie Amundsen! Mais qui était cette Sophie en définitive? Elle ne savait pas trop au juste.
Et si elle s'était appelée autrement? Anne Knutsen, par exemple. Aurait-elle été alors quelqu'un d'autre?
Le Monde de Sophie, Jostein Gaarder
Il y a un moment entre celui qui récite
et celui qui écoute.
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche.
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir a daigné vous écrire... !
- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
29 septembre 1870
L'anxiété.
L'agitation.
L'indifférence.
L'oiseau est mort dans le caniveau.
Une aile ouverte.
La tête repliée.
L'oeil à demi clos.
Les pattes contractées.
Gris.
Martèlement des pas.
[...]
Une lassitude du corps.
Une peau fripée.
Des mains qui se tachent.
La voix qui s'essouffle.
Des os douloureux.
Des yeux qui s'affaiblissent.
Des absences de désir.
Des amertumes.
Des tristesses d'être.
Ils marchent dans le couloir.
Ils vont.
Ils viennent.
Ils s'agitent.
Les talons claquent.
Les pas sont lourds.
Ils s'approchent.
Ils repartent.
Ils parlent.
Ils s'appellent.
Ils bavardent.
Ils font du bruit derrière la porte.
Ils sont vivants.
L'anfractuosité close s'entrouvre.
Être extrait du bain tiède.
Feu brutal de la clarté.
Déflagration du bruit.
Il va falloir souffrir.
[...]
Parfois le rêve les fait revivre mais ils sont morts.
Une pierre jaune.
Une pierre grise.
Une pierre blanche.
Une pierre veinée.
Une pierre marbrée.
Une pierre plate.
Une pierre bossue.
Une pierre creuse.
Une pierre carrée.
Une pierre écaillée.
Une pierre rousse.
Une pierre noire.
Une pierre anguleuse.
Une pierre allongée.
Une pierre massive.
Une pierre mal alignée.
Une pierre rouillée.
Une pierre maigre.
Une pierre triste.
Assis chaque jour face au mur.
... parce que précisément la langue dans laquelle il me serait donné
non seulement d'écrire mais encore de penser n'est ni la latine
ni l'anglaise, non plus que l'italienne ou l'espagnole, mais une langue
dont pas un seul mot ne m'est connu, une langue dans laquelle les
choses muettes me parlent, et dans laquelle peut-être je
me justifierai un jour dans ma tombe devant un juge inconnu ...