Ce matin-là, tu es autorisée à te rendre dans une petite cour pour y jeter des détritus. Deux hommes du pavillon voisin sont occupés à peindre des barreaux. En passant derrière eux, tu te saisis d'un pot de peinture et tu te précipites à l'intérieur du bâtiment. Tu roules en boule un morceau de papier resté au fond du panier, tu le plonges dans le pot, et cédant à une furieuse impulsion, tu écris avec rage  sur un mur, sur la porte des surveillantes, du médecins, en grandes lettres noires dégoulinantes, ces mots qui depuis des jours te déchirent la tête

je crève

parlez-moi

parlez- moi

si vous trouviez
les mots dont j'ai besoin
vous me délivreriez
de ce qui m'étouffe
  Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l'âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l'épaule contre le manteau de la cheminée. A tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit  interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ , une vie autre, à l'infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. A chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve et qui brille. Ce point souvent scruté où elle coupe l'horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. Les longues heures spacieuses, toujours trop courtes, où tu vas et viens en toi, attentive, anxieuse, fouaillée par les questions qui alimentent ton incessant soliloque. Nul pour t'écouter, te comprendre, t'accompagner. Partir, partir, laisser tomber les chaînes, mais ce qui ronge, comment s'en défaire ?Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque qui est allé s'amplifiant, mais que tu réprimais, refusais, niais, et qui au fil des jours, au fils des ans, a fini par t'étouffer. La nuit interminable des hivers. Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pourrait renaître. A jamais les routes interdites, enfouies, perdues. Mais ces instants où tu lâchais les amarres, te livrais éperdument à  la flamme, où tu laissais s'épanouir ce qui te poussait  à t'aventurer toujours plus loin, te maintenait les yeux ouverts face à l'inconnu. tu n'aurais osé le reconnaître, mais à maintes reprises, il est certain que l'immense et l'amour ont déferlé sur tes terres. Puis comme un coup qui t'aurait brisé la nuque, ce brutal retour au quotidien, à la solitude, à la nuit qui n'en finissait pas. Effondrée, hagarde. Incapable de reprendre pieds.
  Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s'est déchirée.


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