« Rouges ou bleus, disait Ferral, les coolies n'en seront pas moins coolies ; à moins qu'ils n'en soient morts. Ne trouvez vous pas d'une stupidité caractéristique de l'espèce humaine qu'un homme qui n'a qu'une vie puisse la perdre pour une idée ?
- Il est très rare qu'un homme puisse supporter, comment dirais-je ? sa condition d'homme... »
Il pensa à l'une des idées de Kyo : tout ce pour quoi les hommes acceptent de se faire tuer, au-delà de l'intérêt, tend plus ou moins confusément à justifier cette condition en la fondant en dignité : christianisme pour l'esclavage, nation pour le citoyen, communisme pour l'ouvrier. Mais il n'avait pas envie de discuter des idées de Kyo avec Ferral. Il revint à celui-ci :
« Il faut toujours s'intoxiquer : ce pays a l'opium, l'Islam a le Haschisch, l'Occident la femme... Peut-être l'amour est-il surtout le moyen qu'emploie l'Occidental pour s'affranchir de sa condition d'homme... »
Sous ses paroles, un contre-courant confus et caché de figures glissait : Tchen et le meurtre, Clappique et sa folie, Katow et la révolution, May et l'amour, lui-même et l'opium... Kyo seul, pour lui, résistait à ces domaines.
« Beaucoup moins de femmes se coucheraient, répondait Ferral, si elles pouvaient obtenir dans la position verticales les phrases d'admiration dont elles ont besoin et qui exigent le lit.
- Et combien d'hommes ?
- Mais l'homme peut et doit nier la femme : l'acte, l'acte seul justifie la vie et satisfait l'homme blanc. Que penserions-nous si l'on nous parlait d'un grand peintre qui ne fait pas de tableaux ? Un homme est la somme de ses actes, de ce qu'il a fait, de ce qu'il peut faire. Rien d'autre. Je ne suis pas ce que telle rencontre d'une femme ou d'un homme modèle de ma vie ; je suis mes routes, mes...
- Il fallait que les routes fussent faîtes. »
Depuis les derniers coups de feu, Gisors était résolu à ne plus jouer le justificateur.
« Sinon par vous, n'est ce pas, par un autre. C'est comme si un général disait : avec mes soldats, je puis mitrailler la ville. Mais, s'il était capable de la mitrailler, il ne serait pas général... D'ailleurs, les hommes sont peut-être indifférents au pouvoir... Ce qui les fascine dans cette idée, voyez-vous, ce n'est pas le pouvoir réel, c'est l'illusion du bon plaisir. Le pouvoir du roi, c'est de gouverner n'est ce pas ? Mais, l'homme n'a pas envie de gouverner : il a envie de contraindre, vous l'avez dit. D'être plus qu'homme, dans un monde d'hommes. Non pas puissant : tout-puissant. La maladie chimérique, dont la volonté de puissance n'est que justification intellectuelle, c'est la volonté de déité : tout homme rêve d'être dieu. »
- Il est très rare qu'un homme puisse supporter, comment dirais-je ? sa condition d'homme... »
Il pensa à l'une des idées de Kyo : tout ce pour quoi les hommes acceptent de se faire tuer, au-delà de l'intérêt, tend plus ou moins confusément à justifier cette condition en la fondant en dignité : christianisme pour l'esclavage, nation pour le citoyen, communisme pour l'ouvrier. Mais il n'avait pas envie de discuter des idées de Kyo avec Ferral. Il revint à celui-ci :
« Il faut toujours s'intoxiquer : ce pays a l'opium, l'Islam a le Haschisch, l'Occident la femme... Peut-être l'amour est-il surtout le moyen qu'emploie l'Occidental pour s'affranchir de sa condition d'homme... »
Sous ses paroles, un contre-courant confus et caché de figures glissait : Tchen et le meurtre, Clappique et sa folie, Katow et la révolution, May et l'amour, lui-même et l'opium... Kyo seul, pour lui, résistait à ces domaines.
« Beaucoup moins de femmes se coucheraient, répondait Ferral, si elles pouvaient obtenir dans la position verticales les phrases d'admiration dont elles ont besoin et qui exigent le lit.
- Et combien d'hommes ?
- Mais l'homme peut et doit nier la femme : l'acte, l'acte seul justifie la vie et satisfait l'homme blanc. Que penserions-nous si l'on nous parlait d'un grand peintre qui ne fait pas de tableaux ? Un homme est la somme de ses actes, de ce qu'il a fait, de ce qu'il peut faire. Rien d'autre. Je ne suis pas ce que telle rencontre d'une femme ou d'un homme modèle de ma vie ; je suis mes routes, mes...
- Il fallait que les routes fussent faîtes. »
Depuis les derniers coups de feu, Gisors était résolu à ne plus jouer le justificateur.
« Sinon par vous, n'est ce pas, par un autre. C'est comme si un général disait : avec mes soldats, je puis mitrailler la ville. Mais, s'il était capable de la mitrailler, il ne serait pas général... D'ailleurs, les hommes sont peut-être indifférents au pouvoir... Ce qui les fascine dans cette idée, voyez-vous, ce n'est pas le pouvoir réel, c'est l'illusion du bon plaisir. Le pouvoir du roi, c'est de gouverner n'est ce pas ? Mais, l'homme n'a pas envie de gouverner : il a envie de contraindre, vous l'avez dit. D'être plus qu'homme, dans un monde d'hommes. Non pas puissant : tout-puissant. La maladie chimérique, dont la volonté de puissance n'est que justification intellectuelle, c'est la volonté de déité : tout homme rêve d'être dieu. »
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