« Pas un être qui reste. Pire : rien qui demeure en l'état. Pas un corps, pas un sentiment, pas une relation, pas un sourire. On dirait que le monde se détruit à perpétuité, s'envole vers un devenir lui-même éphémère. Alors le présent finit par n'être plus rien, qu'un instant vacillant destiné à disparaître. Et ce qui disparaît me fait souffrir. Il n'y a rien à quoi s'accrocher, rien qui ne se fige comme il est. Au-dessus de nos têtes, le ciel immuable est un déplacement incessant. Sous nos pieds la terre s'érode. L'architecture naturelle évolue. L'air se recompose. Même les glaciers, qui semblent pourtant pétrifiés dans leur froid, vivent et bougent et rendent leurs morts. La montagne immobile change elle aussi, se couvre et se découvre. La chair se flétrit, s'amollit, s'interrompt. Les sentiment s'altèrent, s'embusquent, s'apetissent…. Ce déplacement perpétuel des choses vers le chaos, la vie même, sa fugacité, cet épanouissement voué à se racornir, tout cela m'accable. Je voudrais le poudroiement de la stabilité, comme un champ de blé sous le vent et le soleil : le léger mouvement attaché à la chose impérissable. Pourquoi n'acceptes-tu pas la fin des choses ? me demande Luc. C'est une maladie.
Oui, je suis sentimentale. Et ma vie depuis toujours embrasée par la mélancolie. C'est possible. »