(Krapp jure, débranche l'appareil, fait avancer la bande, rebranche l'appareil)
- mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, de haut en bas, et d'un coté à l'autre.

    Pause.

Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée.

     Pause.


Ici je termine -

     Krapp débranche l'appareil, ramène la bande en arrière, rebranche l'appareil.

- le haut du lac, avec la barque, nagé près de la rive, puis poussé au large et laissé à la dérive. Elle était couchée sur les planches du fond, les mains sous la tête et les yeux fermés. Soleil flamboyant, un brin de brise, l'eau un peu clapoteuse comme je l'aime. J'ai remarqué une égratignure sur sa cuisse et lui ai demandé comment elle se l'était faite. En cueillant des groseilles à maquereau, m'a-t-elle répondu. J'ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause.) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants - (pause) -après quelques instants elle l'a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu'ils soient dans l'ombre et ils se sont ouverts. (Pause.) M'ont laissé entrer. (Pause.) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme ils se pliaient, avec un soupir, devant la proue ! (Pause.) Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, de haut en bas, et d'un coté à l'autre.

     Pause.

Passé minuit. Jamais entendu -
[ ... ]
 
 
BANDE. - groseilles à maquereau, m'a-t-elle répondu. J'ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause.) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants - (pause) -après quelques instants elle l'a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu'ils soient dans l'ombre et ils se sont ouverts. (Pause.) M'ont laissé entrer. (Pause.) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme ils se pliaient, avec un soupir, devant la proue ! (Pause.) Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, de haut en bas, et d'un coté à l'autre.

     Pause. Les lèvres de Krapp remuent sans bruit.

Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée.

     Pause.

Ici je termine cette bande. Boîte - (pause) - trois, bobine - (pause) - cinq. (Pause.) Peut-être que mes meilleures années sont passées. Quand il y avait encore une chance de bonheur. Mais je n'en voudrais plus. Plus maintenant que j'ai ce feu en moi. Non, je n'en voudrais plus.

    
Krapp demeure immobile, regardant dans le vide devant lui. La bande continue à se dérouler en silence.

RIDEAU
« Estragon - [...] Allons-nous-en.
Vladimir - On ne peut pas.
Estragon - Pourquoi ?
Vladimir - On attend Godot.
Estragon - C'est vrai. (Un temps.) Tu es sûr que c'est ici ?
Vladimir - Quoi ?
Estragon - Qu'il faut attendre.
Vladimir - Il a dit devant l'arbre (ils regardent l'arbre.) Tu en vois d'autres ?
Estragon- Qu'est ce que c'est ?
Vladimir - On dirait un saule.
Estragon - Où sont les feuilles ?
Vladimir - Il doit être mort.
Estragon - Finis les pleurs. »

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