- Mais à quel fin ce monde a-t-il donc été formé ? dit Candide.
- Pour nous faire enrager, répondit Martin.

Où se trouve la beauté? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnées à mourir, ou bien dans les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l'instant une gemme d'infini?
Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d'introduire dans l'absurdité de nos vies une brèche d'harmonie sereine. Oui, l'univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l'insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d'automne bruissent et s'envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.

Toci


" Les jours pairs, je me dis qu'en fin de compte je vais acheter une île déserte ; que je vais prendre tous les autistes de la terre et les emmener avec moi, loin des sociétés de soi-disant êtres humains qui ne se sont jamais donnés la peine de leur faire une place, de s'occuper d'eux, d'en prendre soin, de les aimer comme des êtres humains. Je les prendrai tous, et ensemble, entre eux, et près de moi, nous vivrons comme vivent les gens. Et ils seront enfin des êtres humains.
Les jours impairs, je me dis que non, en définitive…
La souffrance, de quoi est-elle faire, au juste – la nôtre, la leur ? Qu'est-ce qui distingue l'une de l'autre ? Combien pèse-t-elle ? Qu'est-ce qui constitue réellement la souffrance ? Qu'est-ce qui constitue le contraire de la souffrance ?
Et si, en fin de compte, c'était le partage, l'apprentissage, la découverte, l'ouverture de l'horizon ? L'évolution ? "

"Hipollène serre la main de son papa. C'est comme si elle était dans ces bras. Grand-mère est bizarre. Elle est là, et il n'y a plus personne dedans. [...] Et puis elle s'envole entre les feuilles du ciel. Elle a l'air aussi légère qu'un soupir."

Manon - Liseron



S'agissant d'un enfant de noble maison qui recherche l'étude des lettres, non pour le gain (car une poursuite aussi vile est indigne de la grâce et de la faveur des Muses, et puis elle regarde autrui et en dépend), ni tant pour les avantages extérieurs à y trouver que pour les siens propres, et pour s'en enrichir et s'en parer au-dedans, ayant personnellement plutôt envie d'en tirer un habile homme q'un homme savant, je voudrais qu'on ait soin de lui choisir un répétiteur qui ait plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu'on exige l'une et l'autre chose mais davantage la valeur morale et l'intelligence que la science. Et je voudrais que ce répartiteur se conduise dans sa fonction d'une nouvelle manière.
On ne cesse de criailler à nos oreilles comme on verserait dans un entonnoir, et notre fonction, ce n'est que de redire ce qu'on nous a dit.
Je voudrais qu'il corrige ce point, et que, d'emblée, selon la portée de l'âme qu'il a en main, il commence à la mettre sur la sellette, lui faisant tester les choses, les lui faisant choisir et distinguer d'elle-même; quelquefois en lui ouvrant un chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu'il découvre et parle seul, je veux qu'il écoute son élève parler à son tour. […]
Il est bon qu'il le fasse trotter devant lui pour juger de son allure, et juger jusqu'à quel niveau il doit redescendre pour s'adapter à sa force. Faute de respecter cette proportion, nous gâtons tout ; savoir la choisir et s'y conduire avec une bonne mesure, c'est une des tâches les plus ardues que je connaisse; et c'est l'effet d'une âme élevée, et bien forte, que de savoir s'abaisser à son rythme enfantin et le guider.  Je marche d'un pas plus sûr et plus ferme en montant qu'en descendant.
Ceux qui, comme le veut notre usage, entreprennent, avec les mêmes cours et une mesure uniforme dans leur conduite, de diriger beaucoup d'esprits de mesures et configurations diverses, il n'y a pas à s'étonner que, dans toute population d'enfant, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui produisent un juste fruit de leur enseignement.

(Il n'existe pas de mec aussi extraordinairement contemporain que Montaigne. Je vous JURE. Lisez-le. -louise-)

Arthur laissa filer les grains de sable entre ses doigts.
Il y a des chagrins d'amour que le temps n'efface pas
et qui laissent aux sourires des cicatrices imparfaites.

P.261

(Madame H)

Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont que des relations et des fréquentations nouées à la faveur de quelque circonstance ou intérêt, qui font que nos âmes se tiennent entre elles. Mais, dans l'amitié dont je parle, elles se mêlent et se fondent l'une en l'autre par un mélange si total qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui; parce que c'était moi.
Il y a, au-delà de mon raisonnement et au-delà de ce que je peux en dire personnellement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant de nous être vus, et par des propos que nous entendions tenir l'un sur l'autre lesquels faisaient pour notre affection plus d'effet que n'en font raisonnablement les propos, je crois en fait par une sorte d'ordonnance du ciel; nous nous embrassions par nos noms. Et, lors de notre première rencontre, qui eut lieu par hasard au cours d'une grande fête d'assemblée municipale, nous nous découvrîmes si pris, si connus, si liés mutuellement que rien dès lors ne nous fut si proche à l'un que l'autre. Il écrivit en latin une excellente satire, qui est publiée, où il motive et explique la rapidité de notre entente, si vite parvenue à sa perfection. Ayant si peu de temps à durer, et ayant si tard commencé (nous étions tous deux des hommes faits, lui avec quelques années de plus), elle n'avait point à perdre de temps et à se régler sur le modèle des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut tant de précautions d'une longue communication préalable. Cette amitié-ci n'a point d'autre archétype que le sien, et ne peut être comparée qu'à elle-même. Ce n'est pas une considération particulière, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena à se plonger et à se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté,  l'amena à se plonger et à se perdre en la mienne, avec une même faim, avec un même élan réciproque. Je dis « perdre » et c'est conforme à la vérité : nous ne nous réservions rien qui nous fût propre, ni qui fût ou à lui ou à moi.         (louise)

J'avais oublié l'ivresse d'écrire dans le silence, d'emplire de mes phrases un appartement vide, de laisser le passé reprendre le pas sur le présent en défaisant la trame du réel, pour retisser les évenements dans mon sens, à ma mesure. La véritable ivresse, le contraire du flou sans fond où me plongent les cuites. Rien sur terre ne m'aura donné autant d'émotion, autant de puissance que ces heures en marge de ka vie, où je refais le monde par dépit, par défi, par vengeance.

« Pas un être qui reste. Pire : rien qui demeure en l'état. Pas un corps, pas un sentiment, pas une relation, pas un sourire. On dirait que le monde se détruit à perpétuité, s'envole vers un devenir lui-même éphémère. Alors le présent finit par n'être plus rien, qu'un instant vacillant destiné à disparaître. Et ce qui disparaît me fait souffrir. Il n'y a rien à quoi s'accrocher, rien qui ne se fige comme il est. Au-dessus de nos têtes, le ciel immuable est un déplacement incessant. Sous nos pieds la terre s'érode. L'architecture naturelle évolue. L'air se recompose. Même les glaciers, qui semblent pourtant pétrifiés dans leur froid, vivent et bougent et rendent leurs morts. La montagne immobile change elle aussi, se couvre et se découvre. La chair se flétrit, s'amollit, s'interrompt. Les sentiment s'altèrent, s'embusquent, s'apetissent…. Ce déplacement perpétuel des choses vers le chaos, la vie même, sa fugacité, cet épanouissement voué à se racornir, tout cela m'accable. Je voudrais le poudroiement de la stabilité, comme un champ de blé sous le vent et le soleil : le léger mouvement attaché à la chose impérissable. Pourquoi n'acceptes-tu pas la fin des choses ? me demande Luc. C'est une maladie.

 

Oui, je suis sentimentale. Et ma vie depuis toujours embrasée par la mélancolie. C'est possible. »

[Mo']

Une envie. Quand cela me prend...
C'est plus fort que moi.
Je ne peux pas m'en empêcher.
(Elle se jette dans le fauteuil placé près du poêle.) 
Et je ne sais pas comment l'expliquer.
louise

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